Paris International Fantastic Film Festival 2012 : Hors Compétition.
La saga Universal Soldier, initiée par Roland Emmerich il y a 20 ans déjà, en plein état de grâce de Jean-Claude Van Damme, a ceci de particulier que ses suites redoublant de médiocrité, sorties souvent en catimini, n’ont jamais vraiment pris en compte une quelconque cohérence au sein même de la série de films. Chaque film garde les personnages, mais s’invente un univers propre. Et Universal Soldier : le jour du jugement, en plus de proposer quelque chose de parfois colossal au rayon cinéma d’action, repousse tout cela à l’extrême.
Il y a 3 ans, John Hyams, fils de Peter Hyams (Capricorn One, Outland, 2010 – L’année du premier contact…) prenait les commandes en réalisant Universal Soldier: Régénération, véritable renaissance de la saga marquant le départ d’une relation privilégiée avec celui qui fut la star de quelques films de son père dans les années 90, dans Timecop et Mort subite, Jean-Claude Van Damme. Revenu sur le devant de la scène, hors productions bulgares, l’acteur belge a tout de suite senti le potentiel du bonhomme et comment il allait pouvoir lui offrir un de ces rôles les plus intéressants à ce jour. Universal Soldier : le jour du jugement est un film complètement “autre” dans la mesure où il ne semble répondre à aucun cahier des charges, tente une approche de cinéma d’auteur plutôt que d’actioner banal, ne se pose aucune limite et se rêve en monument. Difficile d’accepter le fait d’être face à un Universal Soldier tant le gentil film d’action/SF de Roland Emmerich semble à des années-lumière de cette chose indescriptible qui n’en finit pas d’apporter des idées nouvelles. Le risque avec un film aussi généreux et décalé est évidemment que des choses ne fonctionnent pas. C’est le cas, certains éléments du film sont à jeter, d’autres sont simplement ratés, mais il faut bien avouer que la majorité fonctionne à plein régime.
Universal Soldier : le jour du jugement est le film de tous les paradoxes, tout d’abord car il s’agit probablement d’un des films d’action les plus étonnants de ces dernières années sans qu’il en soit véritablement un. Le film est avant tout une quête identitaire d’un homme rendu amnésique et qui va apprendre à maîtriser sa nature, sur fond de mouvement terroriste d’un nouveau genre. Derrière l’aspect assez improbable de certains éléments du film, en grande partie car il nous prennent totalement à contrepied, l’ambition d’auteur de John Hyams se traduit jusque dans l’ancrage du film dans son époque. Il met en place une nouvelle mythologie avec un film qui est nourri du début à la fin par les nouvelles peurs de l’Amérique. Et au delà de ça, il développe un script franchement inattendu et qui, s’il ne brille pas forcément par sa construction très linéaire, emmène le récit dans des contrées peut-être trop ambitieuses, mais qui affirment encore la singularité du projet. Universal Soldier : le jour du jugement est un film qui aborde l’éveil spirituel, la manipulation de la conscience et les communautés secrètes, soit l’inverse de ce qu’on pouvait attendre d’un nouveau film d’action avec JCVD, un film qui n’est pas sans rappeler un certain cinéma des années 80/90, dont celui du père Hyams. Sauf qu’à tout cela s’ajoutent également des tonalités là encore complètement inattendues, imposant encore un peu ce nouvel épisode de la rupture non pas comme une totale réussite – il possède de sérieuses tares – mais comme une œuvre d’une liberté totale et qui ose tout explorer, quitte à se planter. Pour résumer l’expérience, car c’est bien d’expérience qu’il s’agit, Universal Soldier : le jour du jugement c’est un peu comme si David Lynch acceptait de réaliser une production d’action Nu Image sans aucune contrainte, épaulé tout de même par le James Cameron de Terminator. Il y a d’ailleurs assez peu d’action au final dans le film, sauf que quand elle arrive à l’écran, c’est pour ne surtout pas faire dans la dentelle. Le film de John Hyams est d’une brutalité qui calme immédiatement, osant tous les débordements et y compris les plus gores. Le hic est qu’il doit composer avec un acteur principal qui est toujours aussi médiocre en dehors des combats, à tel point que le film se retrouve à avancer sur un faux rythme à cause du piètre jeu de Scott Adkins qui rend toute la longue épopée dramatique, voire mystique, un brin ennuyeuse. Cependant, comment se passer d’un bonhomme pareil qui prend son envol dès lors qu’il s’agit de démolir du colosse ?
Il y a donc de vrais passages à vide dans cet improbable Universal Soldier : le jour du jugement, sauf qu’on finit par s’en accommoder tant tout ce qu’il propose en parallèle relève de la surprise totale. Le ton brutal et novateur est d’ailleurs donné dès la séquence d’introduction qui revisite le home invasion en mode vue subjective et tout aussi maitrisée que celle de Gaspar Noé sur Enter the Void. Un véritable tour de force en terme de mise en scène et d’immersion du spectateur, d’une violence inouïe et qui permet même à Jean-Claude Van Damme de faire son Henry Fonda d’Il était une fois dans l’ouest. La suite adopte une forme plus classique, avec toutefois un soin bien réel apporté à la mise en scène et la photographie, qui se traduit par un travail sur le cadre et les mouvements, avec notamment quelques plans-séquences des plus réussis et une pure agression visuelle lors d’une séquence stroboscopique assez éprouvante. John Hyams exploite chaque centime de ses 11 millions de dollars de budget pour que son film ressemble à quelque chose et il peut être fier du résultat. Car à l’exception d’une poignée de faux raccords agaçants et un montage tout pourri de la course-poursuite en bagnole, qui fait de la séquence un candidat sérieux pour le prix de la course-poursuite la plus molle, la plus longue et la plus ennuyeuse de l’histoire du cinéma, Universal Soldier : le jour du jugement a de la gueule. Les séquences d’action sont de pures explosions de violence, qu’il s’agisse des gunfights, exécutions ou combats mano à mano, John Hyams ne se fout pas de la gueule du spectateur et lui en donne pour son argent. C’est cru, c’est organique, ça transpire la sueur et le sang, et ça fait très mal. Il accouche même de petites merveilles lorsqu’il adopte un point de vue typiquement vidéoludique, et entre la scène d’exécutions dans le bordel et le combat Scott Adkins/Jean-Claude Van Damme, ou encore celui entre Adkins et Andrei Arlovski, ce sont des purs moments d’action que rien de vient gâcher. Et c’est beau de voir de tels artistes pouvoir faire un tel étalage de leur talent avec un vrai metteur en scène pour capter leur performance. Mais finalement, le plus beau dans tout ça est la performance de Jean-Claude Van Damme. Il donne à son personnage, très largement inspiré du Colonel Kurtz d’Apocalypse Now, une matière qu’on n’attendait plus de lui. Crâne rasé, visage peint, regard de psychopathe, il prouve définitivement qu’il a aujourd’hui le physique taillé pour interpréter les bad guys les plus fous du cinéma d’action. Tout cela pendant que Dolph Lundgren en fait des caisses en leader militaire, un peu mou dans ses combats mais toujours aussi impressionnant, et drôle. Décidément, cet Universal Soldier : le jour du jugement est un défi permanent à toute rationalité, et c’est tant mieux.