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Modus Anomali, le réveil de la proie (Joko Anwar, 2012)

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Paris International Fantastic Film Festival 2012 : Compétition.

Exemple parfait d’un cinéma de genre indonésien plein de vitalité, Modus Anomali, quatrième film de Joko Anwar, est une petite merveille de variation autour d’un motif bien connu. Le réalisateur délaisse le raffinement de ses films précédents pour livrer 90 minutes de cinéma qui joue avec les contrepieds permanents, s’amuse à donner l’illusion de la certitude au spectateur pour mieux semer le trouble, briser littéralement la frontière entre les genres et prouve qu’avec quelques bonnes idées, un budget minimum et une semaine de tournage, il est possible de pondre un objet sauvage et sacrément barré.

Joko Anwar est un type sacrément doué. Son premier film, la comédie sur fond de coulisses du cinéma Joni’s Promise était très réussie, Kala était une véritable bombe qui cachait à peine son propos hautement subversif derrière un traitement esthétique extrêmement poussé et Forbidden Door tissait son intrigue lynchéenne en un exaltant film d’horreur. Avec Modus Anomali, littéralement “Fonctionnement anormal”, le réalisateur indonésien, un des plus fiers représentants ce pays de cinéma complètement fou, change son fusil d’épaule et livre un film minimaliste, fait avec trois fois rien et qui aboutit sur une étrange expérience. Modus Anomali a beau être très imparfait, il n’en reste pas moins une proposition de cinéma assez stupéfiante.

Modus Anomali 1 Modus Anomali, le réveil de la proie (Joko Anwar, 2012)

Tout d’abord, au niveau de ce qui fâche, le choix d’utiliser des dialogues en anglais déclamés par des acteurs indonésiens, et ce pour sans doute vendre plus facilement le film à l’international, est une erreur à la hauteur du choix similaire de Takashi Miike sur Sukiyaki Western Django. Mal à l’aise, les acteurs se contentent de “fuck” et le film y perd sérieusement de son naturel. Cependant, si cela altère méchamment l’immersion, Modus Animali s’avère suffisamment efficace pour passer outre ce petit désagrément. Efficace en terme de récit mais surtout en terme de cohérence dans sa mise en scène. Le scénario de Modus Anomali pourrait très bien être celui d’un épisode de La Quatrième dimension, qu’il s’agisse de son propos ou de sa construction. Il s’agit donc dans les faits d’un script excessivement roublard qui va dévoiler toutes ses clés dans sa dernière demi-heure. Tout du moins en apparence, afin de rassurer le spectateur qui aime se sentir plus intelligent que le scénariste, celui qui nécessite une solution rationnelle à l’énigme du récit, mais sans oublier qu’un bon scénario s’achève  sur une fin précise sans pour autant fermer toutes les portes. C’est précisément le cas de Modus Anomali, avec son dernier acte en apparence bêtement explicatif, sauf qu’il finit par ouvrir plus de portes qu’il n’en ferme. Une approche très Lost dans l’esprit, qui tient autant du foutage de gueule que de l’entreprise vertigineuse, selon l’humeur. Il faut bien avouer que l’ambition de Joko Anwar est dingue, presque démesurée, pour un film si “petit”. Avec 90% du film dont le cadre n’est fréquenté que par le personnage principal, un récit sous forme de jeu pervers extrêmement retors et surtout une approche du genre qui cherche à le réinventer en profondeur, Modus Anomali pêche parfois par excès ou maladresse, mais s’impose comme un exercice de style fascinant. Modus Anomali reprend la plupart des codes du survival avec un personnage en pleine fuite devant un tueur impitoyable et quasi-invisible, pour faire complètement autre chose. Joko Anwar adopte cette charte graphique pour proposer une relecture d’un autre genre également très codé et aujourd’hui passé de mode : le torture porn. Modus Anomali c’est un peu comme Saw sans l’esbroufe du montage hystérique, sans les tonalités glauquissimes et avec un basculement de point de vue des plus intéressants. Le tueur du film ? Quasiment absent de tout le film, à moins qu’il ne soit à l’intérieur de chaque plan. Joko Anwar focalise son attention sur sa victime, baptisée John et dont la principale caractéristique, essentielle afin de capter tout ce qui va lui arriver, est qu’il est amnésique. Un artifice de scénario qui permet à Joko Anwar de proposer un récit ludique qui va balader le spectateur pendant une bonne heure, avant de lui balancer la révélation au visage. A moins que cette révélation bien maligne, ou grossière, au choix, ne soit qu’une dernière illusion qui émane de cet univers ressemblant comme deux gouttes d’eau à un cycle infernal. Une illusion démoniaque et implacable pour punir une humanité décadente.

Modus Anomali 2 Modus Anomali, le réveil de la proie (Joko Anwar, 2012)

Comme pour les précédents films de Joko Anwar, il faut savoir lire entre les lignes, au delà de l’exercice de style de scénariste un peu filou, et ne pas nécessairement accepter “la vérité” comme indiscutable. Modus Anomali adopte une technique assez lynchéenne qui consiste à diriger le regard du spectateur là où il ne faut pas pour mieux le manipuler, et l’expérience est toujours aussi ludique. Au moins aussi ludique que le jeu macabre mis en place atteint des degrés de perversion assez ultimes, le script de Modus Anomali ne ménage pas son personnage principal et multiplie les idées vicieuses pour le torturer physiquement et mentalement, le tout dans un tourbillon légèrement barré sur les bords. Et si on pourra toujours discuter l’intelligence d’un tel script jouant sur la perception du public et son propre imaginaire en terme de perversion, tout est beaucoup plus clair en terme de mise en images. Joko Anwar est un metteur en scène sur de son talent et des outils mis à sa disposition. Et s’il adopte un traitement assez classique lors de son dernier acte, captant sans éclat une sauvagerie bestiale et une manipulation machiavélique, la première heure est un véritable modèle à suivre. La beauté de Modus Anomali est de maintenir le spectateur au niveau de son personnage principal, de ne rien lui dévoiler pour qu’il ne soit pas en avance sur le film et ainsi maintenir l’immersion. Et tout passe par la mise en scène. Joko Anwar n’a pas besoin d’adopter une caméra subjective, il maintient simplement le cap pour suivre le regard de son personnage et lui dévoiler les informations en même temps qu’au public. Ainsi se met en place un jeu sur le point de vue qui devient rapidement grisant tant il est maitrisé, créant une ambiance oppressante alors que tout le film se déroule dans une forêt assez peu dense. Un véritable tour de force lié à l’exercice de style technique, atteignant quelques pics tout bonnement tétanisants. Cruel, ludique, pervers et sauvage, Modus Anomali est une véritable surprise. Dommage que de grosses erreurs de casting ou de choix artistiques viennent diluer la puissance organique de ce film, mais cet exercice minimaliste reste une petite merveille.


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