Paris International Fantastic Film Festival 2012 : Compétition.
Alors que le nombre de films de fiction produit intégralement au Pérou sur une année se comptent sur les doigts des deux mains, parfois apparait un petit miracle. C’est le cas de The Cleaner, variation intelligente autour du motif du film d’infectés et qui transcende son budget ridicule par un propos très juste sur l’isolement et la relation entre un vieil homme et un enfant, le premier trouvant le fils qu’il n’a jamais eu et l’autre le père qui s’était évanoui. Tourné à l’économie, le premier film d’Adrian Saba est un petit bijou.
Les films d’infectés sont depuis bien longtemps le fil rouge du cinéma fantastique, avec le cousin pas si éloigné du film de zombies. Mais comment tirer son épingle du jeu dans un genre aussi balisé et aussi souvent interprété ? Steven Soderbergh avait apporté une belle réponse avec son Contagion très théorique, tandis qu’Adrian Saba aborde l’exercice avec un recul total sur le genre. En effet, la contagion en elle-même est relayée au second plan. Littéralement, par la mise en scène, mais également au niveau du récit, même si elle représente le moteur essentiel du drame, de son éclosion à sa conclusion. Comme La Route, The Cleaner préfère s’attarder sur les rapports humains plutôt que sur un phénomène global, traiter d’un état du monde par l’intime et non par le spectaculaire. Une approche toute en retenue à laquelle répond une mise en scène très précise et parfaitement calée sur son sujet. The Cleaner est anti-spectaculaire au possible et marque pourtant un jalon essentiel dans le genre, à l’extrême opposé d’un Danny Boyle par exemple, et en adoptant une rythmique lancinante très sud-américaine.
The Cleaner est divisé en trois actes assez distincts. Il adopte tout d’abord le point de vue d’un personnage récurrent du film d’infectés, l’homme en blouse blanche qui vient nettoyer les logements après un décès. Par la rigueur de ses cadres et la durée de ses plans, Adrian Saba illustre une situation totalement absurde pour la rendre pathétique, celle d’un quotidien routinier dans un monde en proie à un drame extraordinaire. On y suit Eusebio, type peu loquace et seul quand se dessine dans le décor derrière lui les signes d’une situation de contamination. Rues vides, bandes jaunes de la police, feus d’ordures, de quoi planter le décor d’apocalypse glaciale. Adrian Saba utilise intelligemment les outils que le cinéma lui a donné pour illustrer l’existence monotone de cet homme par le montage, tandis que la composition de ses cadres capte la sensation d’isolement et l’absence de mouvement de caméra illustre un quotidien précis et méthodique. C’est avec la rencontre de l’enfant, dans une maison en plein nettoyage, que le film dérape. Dès lors se met en place une fable crépusculaire entre deux êtres brisés et incapables de communiquer. Une fable qui va se découper entre l’apprentissage de la communication avec l’autre et un véritable lien père/fils de substitution. Le coeur de The Cleaner, son âme, se situe dans cette relation et ce qu’elle va provoquer. L’homme se découvre une mission de protecteur, la présence de cet enfant lui ouvrant les yeux sur sa propre vie et le rapport à son père. C’est très beau, et ces personnages statiques dont les échanges provoquent un humour à froid assez génial ne sont pas sans rappeler la relation qui unissait Takeshi Kitano et l’enfant dans L’été de Kikujiro, la fantaisie loufoque en moins. Une comparaison encore appuyée par une très belle séquence au bord de la mer. La beauté de l’écriture et le naturel de ces deux acteurs provoque une empathie immédiate, d’autant plus forte qu’un autre drame se noue de façon assez logique mais finalement bouleversante.
Un homme apprend à revivre et à accepter son destin, un enfant apprend à vivre dans un monde cruel et à faire le deuil de sa mère, deux quêtes initiatiques parallèles et intimement liées qui jouent avec les répétitions de scènes. Si cet aspect peut gêner, il est essentiel au procédé d’Adrian Saba car la moindre modification de cette routine implique un nouveau drame. Comme toute fable, The Cleaner possède ses archétypes mythologiques en accord avec la spiritualité qui émane de tout le film. La figure de l’ange gardien, ici dédoublée, est bien entendu centrale, mais on y trouve également le temps d’une séquence un personnage faisant office d’oracle annonçant le destin d’un des personnages. Autant d’éléments à priori peu compatibles avec un traitement aussi rigide, mais qui créent justement toute sa beauté et son originalité. Par un pur traitement de cinéma, en jouant sur les détails ou tout à coup, un mouvement de caméra qui sera la scène la plus lourde de sens de tout le film, Adrian Saba signe un film pas exempt de défauts, à commencer par son ton rigoureux peu avenant et son rythme peu entrainant, mais qui tient d’une approche neuve d’un genre qui pouvait tourner en rond, et s’avère surtout bouleversant. Une nouvelle preuve que de belles idées et un regard lucide sur l’être humain valent parfois bien mieux que des millions de dollars pour recréer l’apocalypse.