PIFFF 2013 : compétition
10 ans après avoir écrit une comédie et un film d’horreur pour Anthony Stella, Jeremy Gardner passe à la réalisation avec The Battery, petite sensation du cercle des festivals. The Battery est un tout petit film qui aborde avec déférence le genre du film de zombies et parvient à réaliser un petit miracle en transcendant son minuscule budget par une profusion d’idées et un véritable point de vue.
Le film d’infectés, ou de zombies, n’a de cesse d’alimenter le cinéma horrifique indépendant, essentiellement par le biais de séries B voire Z souvent indéfendables. Pourtant, Jeremy Gardner prend son courage à deux mains et signe avec The Battery une belle petite surprise du genre, tout simplement car il ne le prend que comme décor horrifique pour traiter d’autre chose. Tourné en deux semaines avec une équipe réduite de six personne et un budget annoncé à 6000 dollars, The Battery a tout du conte de fées tant le résultat semble en coûter largement plus. L’idée est plutôt simple, il s’agit de suivre les pérégrinations de deux types qui s’adorent et se tapent sur les nerfs, à pied, en voiture, dans un monde qui a rendu l’âme et se trouve à la merci de zombies. Le film réussit tout d’abord quelque chose de magique avec une menace palpable en permanence malgré le faible nombre d’apparitions des créatures. Mais c’est ailleurs que se situe son véritable intérêt, finalement assez loin du genre auquel il s’accole.
The Battery joue sur l’opposition radicale de ses personnages. Une opposition certes classique, notamment dans le genre du film de zombies, mais qui fonctionne parfaitement. D’un côté un personnage impassible, incapable de toute violence et donc de se défendre efficacement contre les attaques, et de l’autre un type bourru, crade, sorte de bouseux pour sa part capable de buter des zombies sans le moindre état d’âme. L’association reste intelligente car chacun apporte quelque chose à l’autre, même si le film analyse finement la sensation de ras le bol qui finit logiquement par s’installer. The Battery développe un propos assez juste sur la déshumanisation progressive, et notamment à travers la manie de Mickey à se couper du monde en se plongeant dans son univers mental fait de musique. Avec ses écouteurs sur les oreilles, il s’évade d’un monde qui s’écroule, mais en même temps s’isole de son compagnon de route. Cette rupture progressive de la communication sonne comme un écho au probable destin de ces deux héros qui n’en sont pas vraiment. Sans reprise, il faudra une succession de petits drames pour que cette communication renaisse, simplement dans l’optique de leur survie. La narration établie par Jeremy Gardner adopte un tempo assez doux, très proche de ce que le cinéma indépendant véhicule depuis quelques années. Lumineux, voire carrément solaire, The Battery joue sur une sorte de fibre nostalgique à la fois désespérée et pourtant quelque part heureuse. L’intérêt principal réside donc essentiellement dans la caractérisation de personnages solides, dont les relations bénéficient toujours d’un véritable naturel. Ils font l’âme de ce road movie pas comme les autres, dans lequel l’opposition entre le rudimentaire et le moderne permet de trouver la quintessence de la survie.
Ponctué d’une poignée de références envers quelques grands classiques, de La Nuit des morts vivants aux Dents de la mer, The Battery avance avec sa simplicité et son analyse détaillée des mécanismes quotidiens qui font la survie des hommes en terre hostile. Très beau, très doux, un brin trop long toutefois, le film de Jeremy Gardner est parcouru de vrais moments de grâce. Mais là encore, il s’agit d’instants tout simples et pourtant essentiels. Un brossage de dents silencieux, quelques pas de danse, une drôle de séquence de masturbation… tout le discours de The Battery tient dans ces moments qui cristallisent la mélancolie de ses héros dont le rêve impossible est tout simplement de revenir à leur vie d’avant les zombies. Entre affrontements quotidiens, plaisirs simples, dialogues ciselés et quelques séquences assez violentes, le film s’impose comme une alternative formidable au genre, qu’il prend comme terreau fertile pour viser d’autres lieux. Il y a également dans The Battery une séquence incroyable. Tout le dernier acte, transformé en huis clos, donne lieu à un très long plan séquence, qui n’a rien d’éblouissant sur le plan technique mais qui tient tout de même de la performance, notamment au niveau du jeu de Jeremy Gardner. Et si ce final a tendance à vraiment s’éterniser, ce qu’il y développe devient magique, illustrant à merveille la solitude, le manque, jusqu’à l’abdication. En un sens, la toute fin est tout simplement déchirante, point d’orgue d’une émotion toujours subtile et bénéficiant également de cet incroyable souci du détail. Tout cela ne fait pas de The Battery un grand film, mais une vraie petite pépite qui aura vu le jour avec trois fois rien, si ce n’est une grosse dose de talent.